Le 37 de la Terrasse à Orford


Il y a bien sûr la Maison Blanche, le 10 Downing Street à Londres, le 24 Sussex Dr à Ottawa. Pour moi il y aura toujours le 37 rue de la Terrasse à Orford. Maison toute simple située sur environ 2 acres, enveloppée complètement d’arbres où j’y ai vécu 42 ans.

Février 1976, un dimanche après-midi où la neige avait mis son manteau blanc sur tous les arbres de la région d’Orford, jeune marié à l’époque, nous nous promenions mon épouse et moi en auto au hasard sur le chemin Alfred Desrochers quand une pancarte de maison à vendre piqua ma curiosité.

Je ne voyais pas la maison, elle était cachée par les arbres. Voyant qu’il n’y avait pas d’auto de stationnée dans l’entrée, je m’y avancé et à environ 85 pieds à ma droite sur une bute, une maison toute neuve était là. Personne ne semblait être là.

Je débarquai de l’auto, je montai sur la bute, je collai mon visage dans la grande fenêtre et une grande pièce, le salon avec un immense foyer en pierres des champs devenait alors ma vue.

Une maison avec une petite terrasse entourée d’arbres où l’on ne voyait aucun voisin ni de la gauche, ni de la droite, ni de l’arrière et ni du devant : LA PAIX, le bonheur, me suis-je dit. Je savais que j’y passerais ma vie. Effectivement, j’y ai passé 42 ans.

J’avais deux personnes à convaincre pour pourvoir acheter ce havre de Paix. L’accord de ma conjointe Monique à l’époque et mon père de me donner 2 500$ le comptant pour acheter cette maison.

Monique qui était une femme extraordinaire avec qui j’ai eu le privilège de vivre pendant dix belles années, accepta que l’on achète ladite maison. Puis mon père avec qui j’avais fondé à Sherbrooke le bureau de Pelletier Huissier de la Cour Supérieure, me donna la somme de 2 500$ pour acheter ladite maison. À cette époque j’étais directeur des services judiciaires des Palais de Justice de Sherbrooke, Granby, Cowansville, Magog, Lac Mégantic et Asbestos.

Pendant plus ou moins 10ans, cette maison du 37 de la Terrasse à Orford a été l’endroit où quasiment à chaque semaine, elle se remplissait d’ami(e)s. Maudit qu’on y a été heureux; on y était ‘’ben’’ dans cette maison; on jasait, je jouais du piano et on chantait. Nous étions bien ensemble.

Puis en janvier 1988 et en octobre 1989 la vie m’a donné deux filles, Magali et Raphaëlle et en 1991 leur mère et moi nous nous sommes séparés. Le jour où je me suis retrouvé seul avec mes deux filles, 3ans et 21 mois, ma vie a changé du tout au tout. J’ai commencé par apprendre à faire bouillir l’eau et à me faire une vie à l’extérieur du social. Une vie familiale à la maison.

C’est dans cette maison avec mes deux filles que j’ai appris à dire je t’aime. Ce sont mes filles avec leur ‘’ je t’aime papa’’ que j’ai appris à dire je t’aime Magali, je t’aime Raphaëlle’’.

Mon père, ma mère aimaient leurs enfants j’en suis persuadé, mai jamais je les ai entendu dire : Je t’aime Laurent, Yvon, Pauline, Suzanne, Bertrand, Claude et Robert.

La maison a continué à recevoir des amis, les ami(e)s de mes filles ; de 1992 à 2012 environ, cette maison a été l’endroit où mes filles recevaient leurs ami(e)s dès qu’elles avaient une raison à fêter.

J’ai vécu avec mes filles toutes ces années dans ce paradis sur Terre où la Nature était reine.

Des fois je me dis que Magog-Orford est l’endroit sur terre où possiblement qu’Adam et Ève ont vécu. C’est surement à l’Abbaye St Benoit du Lac en septembre qu’Ève y a un jour croquer dans la pomme.

Le temps a passé avec la rapidité de l’éclair le tout en oubliant que nous étions nés pour mourir.

Puis 2018 est apparu comme toutes les autres années avec la particularité suivante : J’apprends à mes filles que j’avais vendu la maison.

Pourquoi Papa? Pourquoi tu fais cela. C’est notre maison aussi. Les «party» de Noël et les rencontres de la famille Pelletier l’été, où allons-nous les faire?

Juste les entendre j’avais mal. J’étais atteint directement d’un crochet au cœur.

La raison me disait en dedans de moi que je devais vendre la maison mais mon coeur me disait que je devais garder la maison où j’y verrais arriver la mort un jour.

T’as toujours été heureux ici papa, pourquoi tu fais cela?

J’étais déchiré. Comme auraient dit mes vieux parents, j’ai pleuré comme un veau.

Cette maison pendant 42 ans a toujours été là quand j’avais besoin d’elle, pour m’aider financièrement dans mes moments difficiles de la vie. À 74 ans, les revenus ne sont plus les mêmes qu’à 40 ans. C’est la raison qui me parlait comme ça.

La promesse d’achat est signée par l’acheteur et moi et toutes les conditions sont levées. Il est 2hrs30 du matin dans la nuit, mon beau-frère me réveille pour me dire que ma sœur Suzanne, 70 ans, venait de mourir subitement d’une crise cardiaque.

Le matin je me lève et je prends la décision de ne plus vende la maison; j’étais prêt à payer les frais de l’acheteur ainsi que les dommages s’il y en avait. Je ne vendais plus.

Les deux jours qui suivirent ont été émotivement très difficiles pour moi. J’étais triste de vendre la maison; je regrettais d’avoir accepté de vendre;  j’avais une grande peine pour le décès de ma sœur et en même temps mes deux filles avaient de la peine que je vende la maison.

Dans ces jours-là, mon ami Gervais avocat retraité, lors d’une communication téléphonique, me dit :« Laurent , il faudrait bien que tu appliques ce que tu prêches. Combien de fois tu m’as dit Gervais, vend ta maison pendant que tu es en bonne santé. N’attends pas d’être malade pour vendre.»

Ma réflexion fut alors la suivante : Laurent, une maison n’est pas le bonheur; le bonheur il est en dedans de soi. Tu vas alors trouver un nouvel endroit où tu vas mettre ce bonheur; et tes filles vont elles aussi trouver un endroit où y mettre leur bonheur. La Vie continue me suis-je dit; la maison s’est donc vendue.

42 ans dans la même maison c’est plus que la moitié de ma vie. C’est déjà cela; je suis un gars chanceux.

Ah oui! La Vie a encore de ses surprises. Retrouver un trésor que tu avais perdu il y a plus de 38 ans.

Me Laurent Pelletier, avocat à la retraite


2 réponses à “Le 37 de la Terrasse à Orford”

  1. C’est par un pur hasard que je suis tombée sur votre texte. Il m’a beaucoup émue. Figurez -vous que j’aimerais bien acquérir cette maison car mon cheval a trouvé refuge juste à côté. Si j’y vivais je pourrais donc le voir de ma fenêtre et jouer avec lui chaque jour….Malheureusement elle n’est plus à vendre !!!

  2. Très beau texte on sent le désir d’aller plus loin d’en faire toujours plus tout en demeurant dans notre zone de confort.
    La vie nous rappelle que notre passage sur terre est bien court. Cette décision n’a sans doute pas été facile à prendre.Merci M. Pelletier

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