La plupart d’entre nous ignore la profondeur du chagrin causé par le décès d’un frère ou d’une sœur.
Je reviens souvent avec cette réflexion : on naît pour mourir. C’est le comble de l’absurdité; puis il y a le comment les nôtres et nous bien sûr, allons mourir. Nous n’avons pas demandé de naître. Si l’on nous avait demandé la permission de naître sachant que nous allions mourir, pas certain que nous aurions accepté. Nous nous serions posé cette question : ça sert à quoi de naître pour mourir?
La façon de mourir est aussi absurde que de naître pour mourir.
Il y a dans chaque famille des histoires semblables comme celles dont je vais vous raconter.
En 1966, comme tous les matins ma sœur Pauline se lève. Rien ne lui fait présager que la journée en sera une de différente des autres journées. Elle a vingt ans; ses intentions sont d’entrer en communauté religieuse chez les Petites Sœurs de la Ste Famille.
Avec maman, elle quitte le matin pour distribuer la Poste sur une route rurale entre Richmond et Danville. Arriver à l’intersection des rues Craig et la route 143 là où était situé le garage Fouquet pendant plusieurs années, maman avance à la lumière verte et en plein milieu de l’intersection un camion passe sur la route à toute vitesse comme si de rien n’était et frappe la Dodge de maman qui fait un saut de 72 pieds plus loin. Pauline assise sur le côté du passager n’a aucune chance. Le conducteur du camion, un Ontarien s’était endormi; l’enquête du coroner nous apprendra que le conducteur conduisait ledit camion depuis environ 14 heures sans avoir lui-même dormi.
À la maison nous n’en parlons pas, chacun vit son chagrin à sa façon. Nous en voulons bien sûr au chauffeur du camion. Ça explique un peu ce qui est arrivé; mais c’est trop simple d’en vouloir à cet individu irresponsable, notre questionnement avec le temps sera plus profond. Pourquoi est-ce arrivé à une fille de 20 ans en pleine santé qui voulait vivre? Personne n’y a trouvé encore la réponse.
Il y a quelques mois, ma cousine Danielle perdit subitement son frère de cinquante ans. Danielle a une journée qui s’annonce comme les journées habituelles. Puis à un moment de la journée on lui annonce que son frère avec qui elle avait une belle relation de frère et sœur, est subitement décédé. On vient de le retrouver décédé assis dans sa chaise berceuse. Rien ne pouvait laisser prévoir un tel décès. Danielle a un chagrin immense. Elle ne peut en vouloir à qui que ce soit, ce n’est pas un accident. C’est la VIE oui mais pourquoi? C’est son frère et ça fait mal.
Il y a quelques semaines, ma sœur Suzanne 70 ans en pleine santé décède subitement. Lors du décès de notre sœur Pauline en 1966, Suzanne avait 19 ans, un an de moins que Pauline. Plus haut j’écrivais : « À la maison, nous n’en parlons pas, chacun vit son chagrin à sa façon ». Aujourd’hui le décès de Suzanne m’a d’une certaine façon ramenée au décès de Pauline en ce sens que Suzanne a dû intérieurement vivre l’enfer lors du décès de sa sœur : 5 garçons et 2 filles et là en 1966 nous tombons à 5 garçons et une fille. Suzanne n’a plus sa sœur, la vie la lui a enlevée sans aucune raison.
Je ne sais pas pour mes frères, mais personnellement ça m’a pris 52 ans pour réaliser que la peine de Suzanne au décès de sa sœur en 1966 devait être plus profonde que la nôtre. C’est comme ça quand on vit notre chagrin chacun de notre côté, et n’en parlant pas et on ne réalise pas le degré de solitude de chacun.
Il est 21hrs30, Suzanne et son conjoint Willie ont terminé leur repas; ils se jasent puis à un moment donné Suzanne dit à Willie :« J’ai de la difficulté à respirer et j’ai un point au dos; je vais aller prendre une douche et relaxer, peut-être que ça irait mieux.» Elle revient de la douche, s’assoit sur le lit et Willie la masse pour lui aider. « Arrête Willie, ça fait trop mal, j’ai maintenant deux points, appelle l’ambulance »
Vers 1hr30 du matin au CHUS de Sherbrooke, décédait notre soeur Suzanne.
Suzanne n’était pas malade, ne prenait pas une panoplie de pilules, faisait sa marche à tous les jours, avait des hobbys, était pleine de projets et toujours positive. C’était une femme heureuse qui aimait la vie. Pourquoi alors ?
Avec Willie 49 ans de vie commune, deux beaux enfants Suzanne était née pour mourir à 70 ans ? Voilà. Rien d’autres à comprendre et surtout pas de phrase vide comme celle-ci : « Dieu vient de l’appeler près de lui.»
Quoi répondre à cela? Personne ne connaît ou n’a jamais connu Dieu…. Sur les 7.5 milliards de gens sur la terre, tout à coup Dieu a décidé que c’était au tour de Suzanne, comme ça! Il l’a tiré au hasard? SVP, ne nous prenez pas pour des imbéciles. Quand nous ne pouvons pas expliquer l’inexplicable, arrêtons de dire que c’est alors « la chose» de Dieu, c’est trop facile.
« Depuis quelques années, on parle beaucoup plus de la fin de vie et du deuil, mais il existe un deuil bien particulier qui reste encore trop souvent négligé : c’est celui des frères ou des sœurs adultes après le décès d’un membre de leur fratrie. En effet, on ne retrouve quasiment aucune étude dans la littérature scientifique qui en parle ! C’est comme s’il n’existait pas. Et pourtant, il n’est pas rare d’avoir plusieurs frères et sœurs. De là, la probabilité de vivre la perte de l’un d’entre eux est très forte : ce deuil est donc très fréquent ! »
« La douleur des frères et sœurs, enfants comme adultes est immense. Mais elle n’a pas de nom. Pensons-y. Avant de dire « Comment va ta belle-sœur (ou ton beau-frère) », demandons « Comment vas-tu ? ». Avant de s’enquérir des neveux et nièces, pensons à l’ami(e) qui est en face de nous, celui ou celle dont le deuil n’a pas de nom. »
Tout comme nous, tout comme Danielle, le secret de vivre en paix à la suite d’un deuil d’un frère ou d’une sœur c’est de composer avec cet évènement apprendre à vivre avec; il n’y a pas d’autres façons. N’oublions jamais que le mort fait partie de la vie.
Ne pouvant donc rien y changer, la sagesse nous impose non pas à l’accepter mais à composer avec ce décès. Ce deuil fera partie du reste de notre vie qu’on le veuille ou non.
Concrètement qu’on le veuille ou non, la mort c’est notre destinée. Tout ce que nous manque, c’est la date et l’heure.
La mort d’un frère, d’une sœur ça fait mal même très mal. Sachons-le et soyons plus attentif à la peine de notre ami(e) qui perd un frère, une sœur.
Me Laurent Pelletier, avocat à la retraite