Jérémy, pourquoi ?


Un vendredi, je discutais tout bonnement à l’extérieur de mon bureau avec deux amis lorsqu’un certain monsieur que je ne connaissais pas, me demande s’il pouvait me parler.

Monsieur Pelletier, me dit il, je lis vos chroniques dans le journal local et j’aimerais vous parler. Ses yeux sont humides. Mon fils Jérémy, 22 ans, s’est suicidé la semaine dernière.

Je ne connais pas Jérémy, je ne connais pas le père qui me parle, mais ça me touche profondément. Je le regarde, je l’écoute. Jérémy avait une grande peine d’amour et en plus il était impliqué dans la drogue ; Jérémy en consommait et en distribuait.

Pendant qu’il me parlait, je me souvenais avoir «péter» une crise à un policier lorsque mes filles étudiaient à la polyvalente. Je disais au policier : « tab… nous autres on connaît les vendeurs, les pushers de drogue à la polyvalente et vous autres dans la police vous ne les connaissez pas? Et si vous les connaissez, pourquoi ne les arrêtez-vous pas? : « Me Pelletier,on les connaît comme vous, mais on veut arrêter ceux qui sont au dessus, on veut les plus gros». La réponse que j’ai entendue des dizaines de fois sans que ce fléau de la drogue ne s’arrête.

Je demandai à Christian, le père de Jérémy, comment était la mère dans cette situation? Il me répondit qu’elle était plus forte que lui et qu’il y avait deux autres enfants encore dans la famille. Les femmes dans ces moments-là semblent être mieux «faites» que les hommes. La mort d’un enfant avant les parents n’est absolument pas normale et en plus par le suicide la souffrance intérieure doit être atroce.

En 1966, une de mes sœurs étaient décédées à 20 ans lors d’un accident d’automobile. Maman avait appris à vivre, à composer avec cette tragédie, mais mon père ne l’avait jamais acceptée.

Pendant que le père de Jérémy me parlait j’étais devant l’impuissance totale face à ce suicide d’un enfant de 22 ans. Quelque soit l’âge d’un enfant, il est toujours l’enfant de ses parents. L’amour d’un parent avec son enfant, est un amour gratuit.

Dans ma pratique de droit j’ai vu une mère continuer d’aimer son enfant même s’il était en prison pour un crime odieux, qu’elle-même
n’acceptait pas. C’est ce que j’appelle de l’amour gratuit.

Je me suis aussi souvenu que le mal à l’âme était le nouveau mal du siècle; France Fisette écrivait que le mal à l’âme c’est « ce mal intérieur qui nous fait sentir que nous ne sommes pas à notre place dans la roue de la vie». Et ce mal intérieur peut amener une personne au suicide pour se délivrer de ce mal.

Celui qui se suicide ne veut pas nécessairement mourir, il ne veut qu’enlever sa souffrance; Jérémy ne voulait pas mourir, il voulait arrêter de souffrir et la mort pour lui était une délivrance à son atroce souffrance. Puis cette maudite drogue n’avait rien pour l’aider de se sortir de cet enfer.

Le père de Jérémy m’avait dit qu’il souhaitait que j’écrive sur le suicide de Jérémy pour que les jeunes, celles et ceux qui le connaissent surtout, sachent ce qui est arrivé à Jérémy et qu’ils prennent conscience que la drogue a joué un rôle déterminant dans son geste extrême.

Si je pouvais, j’aurais une question pour Jérémy : Pourquoi as-tu fait cela? il y avait d’autres solutions.

Les parents ne doivent surtout pas se culpabiliser. La vie continue.

Christian merci et bravo d’avoir sorti de toi le mal, la souffrance que tu avais en dedans de toi.

Si Jérémy avait pu faire cela, il serait encore avec nous.

Laurent Pelletier, avocat à la retraite


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